Re-situer et restituer Haïti : Nouvelles connexions (9 oct 2023)
Note: This is not an H.S.A. event. We are simply sharing the word.
Les propositions de contribution sont à envoyer par mail jusqu’au 09 octobre 2023 à l’adresse suivante : resituerhaiti.colloque2024@gmail.com.
Le colloque aura lieu les 04 et 05 avril 2024 dans l’ampli MR002 de la Maison de la recherche de l’université Paris 8.
« Dire Haïti et sa littérature autrement, c’est se demander, à travers les mots de ses écrivains et de ses écrivaines, quel éclairage peut apporter aujourd’hui au monde francophone, sinon au monde tout court, l’expérience haïtienne », déclare l’écrivaine haïtienne Yanick Lahens dans sa leçon inaugurale de la chaire annuelle des Mondes Francophones (2018-2019) au Collège de France. Ce colloque s’inscrit, à l’instar du propos de Lahens, dans une urgence de dire Haïti autrement. Urgence de « dire » et « autrement » pour tenter de sortir le pays de l’économie à la fois du silence et de la diffamation qui entoure le discours sur lui depuis le succès de la révolution haïtienne qui abolit l’esclavage et mit fin au colonialisme français sur l’île caribéenne.
Le silence, théorisé par l’anthropologue Michel-Rolph Trouillot dans son livre Silencing the past (1995), présent de façon plus manifeste dans les rapports d’Haïti avec la France se dévoile, entre autres, par une absence notoire de l’histoire haïtienne dans l’histoire française –la révolution haïtienne reste encore le tabou qu’un infime nombre de manuels scolaires français osent subrepticement braver (Brière, 2017) –et par une prise en compte précaire de la littérature haïtienne dans l’enseignement général des lettres (Chemla, 2019). La diffamation quant à elle peut être perçue historiquement à travers les rapports des métropoles coloniales qui évoquent les contorsions révolutionnaires à Saint-Domingue dès les premiers moments de la révolte des esclaves caractérisée par sa « sauvagerie » (Middelanis, 1996 ; Hurbon, 2009) et la littérature, notamment dans la littérature états-unienne blanche du XIXe siècle qui peint Haïti comme le berceau de l’obscurité et de la barbarie (Dash, 2016). La diffamation est également perceptible au présent dans les médias (Saint-George, 2017). On observe ainsi une réactualisation du regard colonial par une représentation qui tente d’enfermer le pays dans les extrêmes entre “carte postale” et “cauchemar” (Lahens, 2021), de reproduire les stéréotypes de l’anti-haïtianisme et d’ignorer les enjeux géopolitiques et économiques qui vont à la rencontre de la situation actuelle en Haïti. Malgré une augmentation importante depuis les années 2000 –le haitian turn (Joseph, 2012 ; Bandau, 2013) – des études sur Haïti et sa littérature et un nouvel intérêt marqué à l’ère des études postcoloniales, on est encore loin d’un regard et d’une politique décolonisés sur le pays. Le silence et la représentation problématique d’Haïti, que la France partage avec d’autres puissances de ce monde, situe le pays au loin, le confine dans son espace insulaire et isolé, presque de l’autre côté de l’humanité (modernité, cf. Mignolo, 2011). Il s’établit là une distance factice qu’il convient de désamorcer.
Les publications récentes qui abordent la question tout autant passée sous silence de la “dette” de l’indépendance, (cf. Henochsberg, 2016 ; Dorigny et al., 2021 ; Gamio et al., 2022) et le colloque « Haïti : littérature et civilisation » (2019) au Collège de France précédé quelques mois plus tôt par la leçon inaugurale de Yanick Lahens mais aussi les références récurrentes à la révolution haïtienne dans le dernier blockbuster Black Panther: Wakanda forever (cf. Haitian Times, 2022 ; Varsity, 2022), sont des pas qui témoignent dudit désamorçage déjà en cours. Cette évolution passe par les études littéraires et culturelles, ainsi que par des productions artistiques qui non seulement repositionnent Haïti dans l’histoire globale mais touchent également à la question de la restitution.
Suivant cette perspective, notre colloque tente de re-visiter le rôle d’Haïti et sa civilisation dans l’histoire et au présent, de questionner les angles sous lesquels ils sont souvent présentés et d’ainsi faire “habiter” le pays reprenant là le mouvement de pensée qui traverse la contribution de Laënnec Hurbon au colloque du collège de France et qui a inspiré le Festival Haïti-Monde de 2022 à Paris. Pour ce faire, ce colloque s’intéresse à la situation d’Haïti dans les Amériques, notamment dans l’espace caribéen, mais aussi à ses liens avec d’autres espaces dans le monde comme l’Afrique, le Moyen-Orient ou l’Europe (p.ex. avec l’Allemagne, cf. Pestel, 2019). Il aspire à re-penser la situation d’Haïti et de la littérature haïtienne afin de placer Haïti et l’étudier dans un contexte plus pertinent pour la complète considération de ses complexités historiques, politiques, linguistiques, culturelles et littéraires. Le colloque cherche aussi à questionner les circulations, connexions et influences de cette première littérature anticoloniale en se penchant sur son rôle dans l’espace littéraire d’aujourd’hui et d’une littérature-monde (Le Bris, 2007) ou plutôt qui s’amplifie. Il n’est pas ici question d’étudier « l’apport » d’Haïti comme s’il s’agissait d’un simple objet d’étude, mais bien d’évoquer ses connexions, ses relations et, par conséquent, la façon dont elle participe à l’espace historique, littéraire et politique de la France, de la Caraïbe, des Amériques et du monde.
Ce colloque se veut pluridisciplinaire. L’on souhaiterait associer les travaux de chercheurs en histoire, en sciences sociales, en littérature, en études culturelles et même cinématographiques. Le colloque s’organise autour de deux idées directrices : la re-situation et la restitution d’Haïti qui sont donc les grands axes dans lesquels doivent s’inscrire les propositions de communication.
Axe I : Re-situer Haïti
Cet axe problématique approche Haïti comme un agent de l’histoire mondiale (cf. Boucheron, 2017). Il s’agit ici de penser Haïti avec ses connexions multidirectionnelles, complexes et torturées afin de mettre en question les récits d’isolation et d’insularité (Wargny, 2008) et de rendre plus visible son influence. Cette dernière pourrait être étudiée, d’une part, sur les plans littéraire et philosophique pour mettre en lumière la participation d’Haïti et des Haïtiens à l’évolution des idées et des lettres et, d’autre part, sur le plan historique. Néanmoins, cet axe ne se restreint pas à la re-situation d’Haïti dans le passé, mais il se propose au même titre de décrire ses relations (géo)politiques et économiques contemporaines, par exemple en abordant les interférences entre politique nationale et relations internationales, en analysant les interventions des puissances globales dans la politique nationale ou en étudiant les liens d’Haïti avec d’autres États.
Les propositions dans cet axe pourront s’organiser autour, mais pas uniquement, des perspectives de discussion suivantes :
- Pratiques artistiques des luttes mémorielles et identitaires, la littérature et l’art haïtiens comme espace de performance de ces luttes ;
- Tracé des impacts de la pensée et de la littérature haïtiennes dans les études post et de-coloniales ;
- Étude du monde et des questions de mondialisation à partir du cas d’Haïti ;
- Rôle et présence des Haïtiens et des personnes d’origine haïtienne dans l’histoire (p.ex. pendant la Seconde Guerre Mondiale);
- Contextualisation d’Haïti dans le carrefour des changements géopolitiques actuels ;
- Questionnement de la circulation et de la réception des lettres francophones et créolophones haïtiennes ;
- Analyse de la participation d’Haïti à l’identité caribéenne globale ;
- Relations musicales, théâtrales, artistiques.
- Histoire médicale, études religieuses, anthropologiques, etc. ;
- Cadre ou contexte conceptuel pour l’écriture haïtienne contemporaine ;
- Rôle de la communauté internationale dans la politique haïtienne ;
- Représentation et situation de la population haïtienne ; mouvements sociaux et politiques ;
- Appréciation et réception de la révolution haïtienne dans l’histoire et la littérature haïtienne contemporaines.
Axe II : Restituer Haïti
En 2003, le président haïtien Jean-Bertrand Aristide énonce pour la première fois le mot “réparation” dans le contexte des relations Haïti-France. Le terme restitution revient, lui, plus populairement en France avec la publication du « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle » de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy en 2018. Tous les deux mots, réparation et restitution, ont comme condition commune la reconnaissance (en tant qu’acte symbolique et juridique), et cet ensemble d’idées constitue des étapes indispensables sur le chemin vers de nouvelles relations (Mbembe, 2018) après le colonialisme. Ainsi, cet axe problématique questionne le passé dans ses rapports de pouvoirs et l’impact de ces derniers dans le présent. Il interroge les stratégies et revendications mises, et à mettre en œuvre pour “réparer” les injustices dudit passé (matérielles, politiques, épistémologiques) et réinventer des relations plus égales et justes. Ci-dessous, une liste, non-exhaustive, de quelques pistes de réflexion à aborder dans cet axe :
- Les relations Haïti-France, Haïti-Europe, Haïti-Amérique, etc. ;
- L’impact de la dette de l’indépendance dans l’histoire, l’évolution et la situation actuelle d’Haïti (politique d’austérité) ;
- La question de la corruption dans la politique du pays et le rôle des pays étrangers dans ce cadre (Duvalier, Aristide, Suisse, France) ;
- L’examen des politiques actuelles envers Haïti et leur rapport avec le passé ;
- La politique d’enseignement face à la Révolution haïtienne en particulier et l’histoire d’Haïti en général dans l’espace francophone ;
- La restitution d’objets culturels, immatériels (par ex. la figure du zombi) et matériels (objets d’art) volés et restitués (le cas des États-Unis) ;
- L’analyse de l’idéologie de l’anti-haïtianisme et de ses répercussions.
Modalités de contribution
Les propositions de contribution sont à envoyer par mail jusqu’au 09 octobre 2023 à l’adresse suivante : resituerhaiti.colloque2024@gmail.com. Les résumés doivent être d’une longueur de 300 mots maximum et accompagnés d’un titre (même provisoire) et d’une courte notice bio-bibliographique. Les propositions seront évaluées par un comité scientifique et les réponses concernant les sélections seront envoyées dès le 15 novembre 2023. Le colloque aura lieu les 04 et 05 avril 2024 dans l’ampli MR002 de la Maison de la recherche de l’université Paris 8.